L’Eurojam 2014 en rétrospective
Interview du Père BOGUSŁAW MIGUT (Conseiller religieux fédéral 2010-2018)
Père Migut, comment évaluez-vous l’expérience de l’Eurojam des Guides et Scouts d’Europe?
L’expérience de l’Eurojam repose sur deux niveaux, le niveau spirituel et le niveau social et politique, qui est également lié à la vie religieuse. Que signifie cette expérience religieuse au sein de l’Eurojam? La devise « Venite et Videte » est tirée de l’Évangile de saint Jean où Jean-Baptiste veut montrer, montre Jésus comme l’Agneau de Dieu, le Messie et où Jésus, à la question « Où demeures-tu ? », répond « Venite et Videte ».
Cela veut dire que la foi ne s’explique pas par un traité philosophique ou théologique. Il n’est pas possible de conjuguer la foi avec des termes abstraits. Ici, il ne s’agit pas d’une expression de quantité, ce n’est pas une science explicable, mais c’est la vie avec Jésus. Les jeunes ont pu expérimenter la vie avec Jésus de différentes manières : l’Ecriture, la prière, l’Eucharistie, la confession. À coup sûr, ils ont compris – et c’est ce qu’on leur a transmis – que la foi, c’est la vie avec Jésus, exprimée de différentes manières.
Si l’on considère l’aspect social, je crois que nos jeunes ont compris que l’unité en Europe est un ensemble d’actions concrètes, et non pas une chose écrite sur le papier, non seulement une question politique, le choix d’autrui, mais une réalité complète et concrète à vivre quotidiennement. L’échange est devenu concret : ils se sont rencontrés, garçons et filles, ils ont vécu ensemble et ont connu des cultures diverses.
Sur le plan religieux, un aspect concret sur lequel nous devons nous engager à l’avenir, est l’importance à accorder au sacrement de la réconciliation dans la vie de nos chefs et de nos jeunes, scouts et guides. Ce sacrement est devenu difficile aujourd’hui, non seulement dans des pays comme l’Allemagne ou d’autres où c’est particulièrement tangible, mais aussi en Italie où c’est également un problème à affronter.
Pourquoi est-ce important ? Parce que c’est avec ce sacrement que la vie avec Jésus recommence. Je me sens pécheur, comme quelqu’un ayant besoin de sa miséricorde, j’ai besoin de lui ; c’est ainsi que commence la foi mûre. Afin de laisser mûrir ma foi, j’ai besoin de la conversion. « Le Baptême est le lieu principal de la conversion première et fondamentale. C’est par la foi en la Bonne Nouvelle et par le Baptême (cf. Ac 2, 38) que l’on renonce au mal et qu’on acquiert le salut, c’est-à-dire la rémission de tous les péchés et le don de la vie nouvelle. Or, l’appel du Christ à la conversion continue à retentir dans la vie des chrétiens. Cette seconde conversion est une tâche ininterrompue pour toute l’Église qui ” enferme des pécheurs dans son propre sein ” et qui ” est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et qui poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement ” (LG 8). Cet effort de conversion n’est pas seulement une œuvre humaine. Elle est le mouvement du ” cœur contrit ” (Ps 51, 19) attiré et mû par la grâce (cf. Jn 6, 44 ; 12, 32) à répondre à l’amour miséricordieux de Dieu qui nous a aimés le premier. » Comme disait saint Ambroise : « L’Église a l’eau et les larmes : l’eau du baptême, les larmes de la pénitence ». Les deux sont des instruments nécessaires pour la vie avec Dieu dans l’Église.
Que signifie la consécration au Sacré-Cœur de Jésus dans ce contexte ?
Le sacrement de pénitence et de réconciliation est lié aussi à la consécration au Sacré-Cœur de Jésus. En quelques mots, la consécration au Sacré-Cœur de Jésus s’assimile à la consécration eucharistique. Nous portons à l’autel nos dons du pain et du vin. De cette manière, nous faisons de notre côté notre consécration, parce que nous montrons notre volonté de dédier toute notre vie à Dieu mais, en même temps, aussi notre faiblesse et notre incapacité à servir Dieu. C’est ainsi que Dieu devient le point de référence le plus important de notre vie, le centre de notre existence. Mais cela ne suffit pas pour une vraie consécration. Il faut la force de Dieu, la force de l’Esprit Saint. C’est l’Esprit Saint qui consacre nos dons, les transforme en Corps et Sang du Christ. En nous nourrissant de ce Corps et de ce Sang du Christ, nous devenons nous-mêmes consacrés, c’est-à-dire transformés de plus en plus à sa ressemblance.
La consécration au Sacré-Cœur de Jésus est l’expression de notre volonté et du désir d’aimer Dieu et notre prochain, comme Jésus le fait. Son amour devient la mesure de notre amour. Mais puisque sans Lui nous ne pouvons rien faire, en nous consacrant, nous l’invitons avec sa force consécratoire. Nous confessons que Lui seul est capable de convertir notre cœur, de le transformer à la ressemblance de son cœur. La consécration est confession de notre faiblesse et reconnaissance de la force immense de Dieu. Je te confesse ma faiblesse pour que tu me montres ta force.
La consécration n’est-elle donc pas seulement un acte de dévotion ?
Oui et non. Dévotion signifie aussi dévouement et, en tant que telle, elle fait partie de la consécration. Peu de gens le comprennent de cette manière. En général, la dévotion est considérée comme un acte extérieur. La consécration ne l’est pas. Elle naît du sens le plus profond de notre foi. Dans la Bible, c’est notre Maître qui demande le cœur de la personne. L’existence chrétienne, vécue dans la docilité à l’Esprit Saint, à la suite du Christ et dans l’obédience au Père, ne se limite pas à une suite de gestes ou pratiques extérieures. Elle exige l’implication de tout l’être humain, à partir du centre propulseur qui est le cœur. Le cœur indique donc l’intériorité profonde, le centre de l’homme, le siège des sentiments, mais également des décisions. C’est le lieu où la liberté humaine joue sa relation avec Dieu, le pivot de la vie morale, le centre dynamique d’où proviennent le bien et le mal. Jésus affirme : « Là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur. » (Luc 12, 34). Le cœur peut être « endurci » (Ez 2,4), mais peut néanmoins accueillir l’action rénovatrice de Dieu dans la conversion. C’est pourquoi le Psalmiste invoque : « O Dieu, crée en moi un cœur pur » (Ps 51,10) et le prophète Ézéchiel annonce « Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau; j’ôterai votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair » (Ez 36, 26).
« Jésus se présente comme accomplissement de la promesse du cœur nouveau, à l’« école » duquel les croyants sont appelés à se mettre : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Jean-Paul II a observé à ce sujet : « Peut-être est-ce la seule fois que Notre Seigneur Jésus a parlé de son cœur, et c’était pour mettre en évidence cet aspect unique : douceur et humilité. Comme s’il signifiait que c’est seulement ainsi qu’il veut conquérir l’homme, que c’est par la douceur et l’humilité qu’il veut régner sur les cœurs. Tout le mystère de son règne s’est exprimé dans ces paroles. La douceur et l’humilité expriment en un certain sens toute la « richesse » du Cœur du Rédempteur dont saint Paul parle aux Éphésiens (cf. Eph 3, 18-19). Mais aussi cette douceur et cette humilité le révèlent pleinement. Mieux encore, elles nous permettent de le connaître et de l’accepter. Elles en font l’objet d’une admiration suprême. » Tout l’Évangile révèle la bonté miséricordieuse et la charité immense du Cœur de Jésus envers toutes les personnes : les enfants, les malades, les pauvres, les pécheurs… Quelques passages aident en particulier à « lire » le mystère du cœur. Saint Jean nous rappelle que le cœur de Jésus est un cœur transpercé (cf. Jean 19, 34-37).Au côté ouvert du Crucifié se rattache l’invitation à « l’eau vive » (Jean 7, 37-39). Le pape Benoît XVI note à cet égard que « L’homme peut assurément, comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où jaillissent des fleuves d’eau vive (cf. Jn 7, 37-38). Mais pour devenir une telle source, il doit lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui est Jésus-Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf. Jn 19, 34) » (Deus Caritas est, 7). L’attention ne doit pourtant pas s’arrêter à la Passion, comme cela a pu se produire dans le passé : le mystère du Cœur du Christ inclut la résurrection et le don de l’Esprit Saint. Au Cénacle, le Christ ressuscité fait la grande annonce de la miséricorde divine, il en confie aux apôtres le ministère et montre les blessures de la Passion dont la blessure du cœur (cf. Jn 20, 19-23). Jésus dit à Thomas : « Avance ici ton doigt, et regarde mes mains ; avance aussi ta main, et mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais croyant ! » Et chacun peut lui répondre avec foi : « Mon Seigneur et mon Dieu! » (Jn 20, 28).
Quelle signification cela a-t-il pour nos chefs ?
Une signification très profonde, avant tout une signification personnelle. Je suis dans les mains de Dieu. J’ai confiance en Dieu. Il change ma vie en la rendant toujours plus belle et plus intéressante. En parlant de cela, il y a un chant qui me vient à l’esprit, chanté et écrit par Claudio Chieffo à l’occasion du jour de son mariage. Il chante : « J’aimerais t’aimer comme Dieu t’aime, avec la même passion, la même force, la même fidélité, qui me manquent. » Pour nous en tant que chefs, cela veut dire que nous aimons nos scouts et guides avec une mesure qui dépasse nos possibilités. Nous voulons aimer nos filles et garçons comme Dieu les aime. Invoquons-le comme force de notre amour.
Quels problèmes pressentez-vous pour le scoutisme au niveau politique et social ?
Au niveau social, l’Eurojam nous met face à un problème qui réclame notre attention et qui nous place, en Europe, face à des réalités qui peuvent être considérées de droite et de gauche. Le risque est de prendre des positions qui s’opposent à l’esprit de fraternité internationale requis par le scoutisme. L’analyse des idées, pensées et propositions politiques est un devoir pour chaque scout. Si, d’un côté, tout ce qui, en général, est défini comme de gauche tend à nier l’identité personnelle, nationale et européenne, de l’autre côté tout ce qui se définit comme de droite tend, au contraire, à élever l’identité nationale au-dessus du dialogue fraternel, au point que cette identité devient trop grande et obscurcit l’objectif du mouvement scout.
Voilà, l’Eurojam a permis aux jeunes d’expérimenter qu’afin de construire la paix, il faut dialoguer, rester avec les autres, dépasser des barrières et obstacles causés par la diversité.
Pour nous, cette expérience doit nous aider à créer une ambiance de dialogue international concret. Comment ? À travers les échanges, seule la rencontre permet la connaissance et le dialogue ; échanges entre différentes cultures ; camps communs au niveau européen, non seulement des événements comme l’Eurojam ; mais tous les ans il faudrait prévoir un camp international. Il n’y a pas d’autre moyen pour s’apprécier soi-même, apprécier son identité, mais aussi l’identité nationale et européenne, si ce n’est par la rencontre concrète.
Pourquoi nos jeunes (chefs compris) ont-ils du mal à vivre les sacrements et pourquoi aussi la Messe est-elle considérée comme une chose pas très importante ?
En tant que mouvement catholique, nous avons la grande tentation de nous appeler catholiques au lieu de l’être en réalité. Il est toujours plus facile de créer une sorte d’idéologie catholique, de système théologique et philosophique que nous cherchons à défendre plutôt que de vivre la foi en Dieu dans Son Église. Nous avons besoin d’une catéchèse fondamentale et profonde. Notre mouvement ne peut pas se contenter de la catéchèse dans les écoles. Nous devons trouver notre modèle de catéchèse au cours de nos activités. Nous devons aussi repenser la formation de nos chefs. Chers chefs et cheftaines, je vous invite à participer à des exercices spirituels. Vous en avez besoin. Comme moi-même.
Merci !
Pattuglia Europa – Associazione Italiana
Loriana Pison